Bénin : Komi Koutché dénonce la gouvernance macabre de Patrice Talon et la rupture



Après son adresse à ses compatriotes de par le monde le 22 avril 2020, Komi Koutché, opposant béninois poussé à l’exil par le régime de la rupture a effectué hier 4 mai 2020 une autre sortie médiatique. En direct de KK TV, l’ancien ministre d’Etat chargé de l’économie, des finances et des programmes de dénationalisation s’est prêté à l’exercice de réparer une injustice à laquelle les béninois sont soumis par les dirigeants actuels. Injustice de vivre dans un pays désormais « prison à ciel ouvert » pendant que les autorités s’attèlent à mirer un paradis au peuple.
Avec des détails minutieux et forts, Komi Koutché révèle à ses pairs le véritable état actuel du Bénin. Morceau choisi, démocratie et gouvernance économique et financière. Selon Komi Koutché, il est inadmissible de continuer à se taire face au massacre de la démocratie par Patrice Talon, chef de l’Etat et ses collaborateurs. Ancien ministre de l’économie et des finances de son Etat et économiste-financier de formation, l’opposant béninois Koutché est indéniablement une des figures les plus averties pour entretenir la question de gouvernance économique et financière. C’est pourquoi il a choisi d’y aller avec des exemples clairs et des chiffres concrets pour prouver à quel point l’économie du Bénin est en agonie et surtout comment la gestion qu’on en fait s’apparente à un « blanchement de capitaux ». Dans son intervention, Komi Koutché à un vœu, voir ses compatriotes s’engager pour le Bénin en vue de redonner au pays ses lettres de noblesse.    
Par Clément WINSAVI
 
Komi KOUTCHE, ancien ministre d'Etat de l'économie, des finances et des programmes de dénationalisation. Opposant en exil à Washington
LIRE L’INTEGRALITE DES PROPOS DE KOMI KOUTCHE
« Béninois mes frères, béninoises mes sœurs,
Je m’en voudrai à l’occasion de cette seconde adresse de ne pas vous réitérer mes exhortations quant au maintien du niveau de vigilance par rapport au coronavirus qui continue d’être une réelle menace pour l’humanité… le devoir qui nous incombe, c’est de continuer à croire que la pandémie est réelle et que nous pouvons y échapper en continuant par observer les gestes-barrière.
Je voudrais consacrer la présente adresse au partage de quelques éléments sur la gouvernance de notre pays avec vous. Qu’il vous souvienne que le 13 mars 2017 lorsque je faisais ma première sortie après mon départ des fonctions officielles, je vous avais dit qu’il était trop tôt de commencer par juger les actions d’un régime qui venait de s’installer un an à peine. Mais quatre ans après, des éléments objectifs existent pour pouvoir porter une appréciation critique.
Mon appréciation sera une appréciation d’un citoyen qui a certainement plus que vous qui être aujourd’hui dans cette prison à ciel ouvert qu’est devenu notre cher et beau pays, la possibilité de pouvoir faire les évaluations d’un certain nombre de facteurs touchant à la gouvernance de notre pays et qu’est-ce que cela pourrait vous inspirer pour récréer ce Bénin de fierté pour lequel nous avons toujours nourri notre fierté d’appartenance depuis bientôt trente ans.
Mon appréciation portera sur un certain nombre de points essentiels. Le premier pont est la démocratie. Cette démocratie qui était notre richesse, qui nous faisait passer pour le modèle de la sous-région, e l’Afrique et même du monde. Cette démocratie est devenue aujourd’hui un facteur gênant pour les dirigeants. C’est pourtant cette même démocratie qui  les a générés. C’est elle qui a offert à chacun d’eux, à commencer par le chef de l’Etat, d’avoir l’opportunité par ces millions de béninois de sa génération de pouvoir prendre le contrôle du secteur qu’est le coton. J’imagine mal le régime révolutionnaire lui donner cette chance qu’il a eue au début des années 90 de pouvoir prendre le contrôle de l’outil industriel du secteur coton et d’en devenir aujourd’hui le magna. C’est cette même démocratie qui a généré tous ceux qui l’entourent. C’est pourtant cette même démocratie qu’ils trouvent gênant et dont ils organisent de façon méthodique le deuil, à commencer par la révision sur fond d’opacité et de mépris total pour peuple dont cette Constitution est l’émanation. Le Bénin dispose-t-il d’un Etat aujourd’hui ? La réponse, c’est non. Le Bénin en tant que pays n’existe plus que de nom, mais le Béni en tant qu’Etat n’existe plus.
La conférence nationale de 1990 a donné lieu au démarrage de la construction d’un Etat par le président Nicéphore Dieudonné Soglo. La construction de cet Etat s’est poursuivi par le général Mathieu Kérékou qui l’a construit et consolidé durant ses deux mandats. Kérékou partait en 2006 en laissant un véritable Etat. Boni Yayi, ayant pris le relais en 2006, malgré quelques turbulences par moment, a réussi à rester dans les grandes lignes de cet Etat. Mais depuis 2016, le Bénin n’a plus d’Etat. En lieu et place de l’Etat, nous avons à faire à une véritable entreprise privée.
L’administration qui est le premier socle de l’Etat est démantelée au profit d’agences privées. Le chômage est devenu la chose la plus partagée et pas même de droit pour ceux qui sont mis au chômage. Dans l’administration, la hiérarchie qui était le fondement du fonctionnement est bafouée. Au sein de l’armée où des hommes de rang, des caporaux qui sont grassement payés pour contrôler des généraux, des colonels et former des coups sur des capitaines sont de l’administration civile. Vous avez dans des ambassades, des simples collaborateurs qui gagnent plus que des ambassadeurs.
La justice, dernier recours du citoyen. Notre justice républicaine a fait place à une milice judiciaire, taillée sur mesure pour renforcer la gouvernance privée de l’Etat.
Au plan économique, la situation est plus que critique. Plusieurs fois déjà, j’ai tiré la sonnette d’alarme en indiquant clairement que le Bénin risque d’être en train de vivre une catastrophe économique et la situation risque de me donner raison. En effet, le régime auquel j’ai appartenu a laissé au 31 mars 2016 une économie avec une croissance promise de 5,2% et un taux d’endettement de 41,50%, pour ne prendre que ces deux indicateurs. Mais de 2016 jusqu’aujourd’hui, quelles sont les performances réelles de notre économie ? Seul Dieu peut le dire, puisqu’aucune voix de contradiction, aucun moyen de contrôle, aucune publication officielle contestable n’est faite. Seul le son de cloche du gouvernement est entendu. Et toutes les tentatives de pouvoir challenger ce son de cloche se solde par des convocations par la Criet. Beaucoup de béninois en ont déjà fait les frais. Mais il y a quand-même quelques indicateurs clés que des sachants peuvent apprécier pour voir que le Bénin n’est pas loin d’une catastrophe économique. Le premier indicateur, c’est par rapport à la croissance économique qui nous est annoncée, plus de 7%. Depuis 2015, nous avons entamé le tarif extérieur commun de la Cedeao. Nous nous sommes également formellement engagés dans l’accord de partenariat économique avec l’Union européenne. Ces deux engagements international et régional consacrent des désarmements tarifaires qui se soldent par un repli de la fiscalité de porte La fiscalité principale devient dès lors la fiscalité intérieure qui est essentiellement basée sur la taxe sur la valeur ajoutée. La taxe sur la valeur ajoutée étant une résultante de la croissance économique, où passent les recettes résultant de la taxe sur la valeur ajoutée pour qu’avec un taux de croissance de 7%, le Bénin soit devenu une économie d’endettement. Le 31 décembre 2018 le taux d’endettement officiel du Bénin avoisinait déjà les 60%. Mais puisque le gouvernement veut embellir la physionomie des indicateurs et continuer à s’endetter sur le marché, il a été initié une vaste opération dite de rebasage. Il s’agit en clair de la remise en cause des bases de calcul des indicateurs nationaux. La conséquence, c’est la réduction à leur plus strict niveau minimal de tous les indicateurs en 2016 considérée comme année de base
Dès lors, puisqu’on part d’un point minimal à un point d’arrivée, il est évident que la différence devient plus grande. Mais ce qui est incontournable, c’est que le fait de repousser le signal de point de départ lors d’une course de relais après le démarrage de la course ne rapproche pas le point d’arrivée. Le gouvernement a beau réduire à minima les indicateurs pour prouver comparativement au point de départ que des bons qualitatifs ont été faits pour justifier de bonnes performances, mais le gouvernement ne peut pas changer la réalité. Et la première réalité, c’est le recours régulier depuis quelques années à l’endettement. Si la croissance est bonne, c’est que conséquemment les recettes intérieures doivent être bonnes aussi, parce que la taxe leader c’est la TVA qui est la principale source de revenus. Du 1er janvier à aujourd’hui, le gouvernement est déjà allé sur le marché régional 5 fois avec un montant totalisant les 238 milliards de francs CFA. Et si les prévisions jusqu’en mai sont maintenues, le recours à l’endettement au marché régional portera l’endettement de l’Etat rien que pour cette seule année jusqu’en mai à plus de 400 milliards francs CFA. Dans l’hypothèse que cette tendance se maintiendrait jusqu’à la fin de l’année, on pourrait se retrouver à un montant avoisinant les 900 milliards comme recours au marché régional. Pendant ce temps, les prévisions de déficit budgétaire étaient seulement de 1,8%, prévisions que curieusement le Fonds monétaire international prédit à 3,5% soit une dégradation du déficit budgétaire de 1,7% avec pour principale raison, les dépenses de santé dues au coronavirus et la fermeture des frontières du Nigéria. Pourtant il y a quelques jours on nous a dit que la fermeture des frontières du Nigéria n’impacte l’économie béninoise que de 45 milliards de francs CFA.
 Loin du Bénin où je suis, je regarde l’actualité de très près. La principale question que je me pose, c’est les mesures qui sont prises en faveur de la population et qui justifierait une dégradation du déficit budgétaire en conséquence. Dans beaucoup de pays de la sous-région, des foyers indigents reçoivent directement des transferts de fonds. Chez nous, il n’a même pas été possible de faire le confinement qui était le moyen le plus populaire pour circonscrire le mal, puisque c’est un mal qui a surpris tout le monde, le temps de mettre en place la batterie de mesures pour gérer la crise dans la durée. La raison évoquée a été qu’il ne fallait pas confiner les gens au risque de les affamer. Je voudrais ici signaler que le Bénin a une économie essentiellement informelle et cette économie est prioritairement animée par les femmes et donc s’il y a confinement, les femmes seraient les plus touchées. Il y a donc un problème de cohérence à avoir dégager sans état d’âme ces mêmes femmes des abords de voies sans penser à ce qu’elles vont manger et que ce soit au moment où leur vie est en jeu et qu’on leur demanderait de rester à la maison pour un mois, ne serait-ce qu’en mettant quelques mesures provenant de la performante économie que nous avons, 500 milliards pour les accompagner, que ce soit en ce moment que nous pensons à ce qu’elles vont manger. Il y a évidemment là un problème de logique.
Le recours au marché financier avec les résultats obtenus à chaque instant suscite également quelques questionnaires. A analyser de près. Le port du Bénin dans les cinq mobilisations depuis le début de l’année va de 38% à 76%. Ça veut dire que dans les émissions du besoin de dettes par le Bénin depuis le début de l’année, c’est également le Bénin qui participe majoritairement. La question que nous devons nous poser quel peut être l’explication objective qui puisse rendre le secteur financier béninois aujourd’hui plus liquide que le secteur financier de la Côte d’Ivoire par exemple. Evidemment, cela amène à d’autres réflexions plus approfondies. Quels sont les opérateurs économiques qui alimentent cette liquidité sur le terrain. Il y a lieu de postuler, puisque la science comme toujours par des hypothèses quit à ce que cela soit infirmé ou confirmé par la suite. Il faut postuler sérieusement une vaste opération de blanchiment  de capitaux. L’avenir peut me démentir
L’autre indicateur qui prouve que le Bénin vit une catastrophe économique, c’est l’incapacité de l’Etat à faire face à un certain nombre d’obligations. Et le reflet des conditions de vies des populations depuis 2016. Pour illustrer l’incapacité de l’Etat dans  un monde actuel, aujourd’hui un village planétaire dans lequel les différents pays du monde cherchent à renforcer leur présence et leur influence nous avons récemment assisté à une révision de la carte diplomatique de notre pays le nombre de nos postes diplomatiques à 10 pour près de 200 pays, 189 précisément. Et pourtant nous avons une économie supposée des plus performantes de la sous-région. Qu’est-ce que 10 ambassades peuvent faire en terme diplomatique dans tout ce que nous avons comme pays dans le monde ? L’argument, c’est qu’il faut faire des économies pour l’Etat. Le deuxième indicateur qui concerne les conditions de vie des populations révèle des chiffres effrayants que je m’en vais partager avec vous. Sur les fonctionnaires moyens, de 2016 jusqu’aujourd’hui. Pour 67% des fonctionnaires moyens de l’administration d’utiliser une voiture qui était une nécessité est devenu un luxe. Seulement 26% des fonctionnaires moyens béninois arrivent à utiliser aujourd’hui leur véhicule 7j/7. Les 74% sont retournés à leurs années d’étudiants, recourant plus fréquemment à leurs motos. Toujours sur cette cible de fonctionnaires moyens, 62% ont déjà cédé 50% des biens qu’ils avaient acquis avant 2016. Mais pendant ce temps, seulement 0,1% de la population contrôle les 99,6% des richesses.
Béninois mes frères, béninoises mes sœurs ; engagez-vous pour le Bénin. Sauvez le Bénin de l’isolement dans lequel il est en train de rentrer progressivement et pour vous en donner la preuve de cet isolement, soustrayez les différents accords que le gouvernement de Boni Yayi a laissés, vous verrez qu’il ne reste plus rien. De façon concrète, les grands projets qui sont entre autres le Millénium challenge account pour près de 403 millions de dollars. Ça a été signé sous nous. Le Programme indicatif national avec l’Union européenne au titre du 11ème FED. Ça a été signé sous nous. C’est ce même programme qui a réaffecté récemment 26 milliards pour le coronavirus. Le grand projet d’infrastructures pour la route Savalou-Djougou, la route Porto-Novo-Pobè y compris la rocade de Porto-Novo. Sur cette route particulièrement, la seule chose qui a changé, c’est la surfacturation du prix au kilomètre. D’autres projets comme la télévision numérique, le programme de développement des infrastructures de télécommunication. Tout ça a été conclu et signé sous Boni Yayi. Soustrayez tous ces projets de tout ce qui se passe aujourd’hui et vous verrez qu’il ne reste plus rien. Même l’appui budgétaire de la banque mondiale était déjà finalisé, c’est le problème avec les Pays-Bas qui avait différé sa signature. Et le recours massif aux emprunts marchands est la preuve que les pourvoyeurs de prêt concessionnels commencent par devenir réticents, puisqu’il y a là des conditionnalités liées essentiellement au respect des droits démocratiques, au respect des droits de l’homme, toute chose que les commerçants d’argent sur le marché financier ordinaire n’observent pas nécessairement. C’est cela l’état actuel de notre pays. Tout ceci est possible, parce que les citoyens n’ont pas la moindre possibilité d’expression. C’est l’expression plurielle qui constitue le baromètre des dirigeants. Dans un pays où l’expression plurielle n’existe pas, il est évident que c’est la terre libre pour toutes les dérives possibles. Ce qui rend possible tout ceci, c’est l’utilisation de la police, de l’armée et surtout de la justice comme moyen d’oppression, de réduction à néant des voix discordantes et de soumission à un esclavage de type nouveau de tous les citoyens qui décident de contester.
Béninoises et béninois, je voudrais vous dire que je suis en quête d’une transformation morale à votre niveau. Que vous puissiez savoir réellement l’état de notre pays et que cela puisse susciter en vous l’envie de vous engager pour le Bénin. C’est ce que j’attends. Quant aux jeunes, notamment les intellectuels opérant aux divers coins du monde qui souhaitent revivre la fierté du Bénin qui a été la leur. Quant aux millions de populations de meurent sous le silence, je voudrais vous dire ce qui suit. Si vous voulez reconquérir votre liberté, la tranquillité dans l’esprit malgré la pauvreté, engagez-vous pour le Bénin. Dans les tout prochains jours, je vous dirai après les consultations que je suis en train de faire en ce moment, mes options politiques. Il n’y a pas matière à désespérer. Demain sera beau et il le sera. »
Komi KOUTCHE

Transcription : Clément WINSAVI



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